Il ferma la porte doucement pour ne pas réveiller sa fille. C’était donc ça être un père. Non, parce que si c’était ça, il était vraiment un chef. Elle était rentrée de l’école en pleure. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ? Il ne savait pas vraiment, ses sœurs pleuraient souvent mais à la maison, il jouait souvent le rôle de tuteur : celui qui faisait le ménage, qui faisait les courses, celui qui signait les absences de ses frères et sœurs… Pendant que son père se trouvait à l’autre bout du monde soit pour son travail, soit pour son plaisir, mais il n’avait jamais joué le rôle de celui qui faisait des câlins. Cela n’avait pas toujours été comme ça. Enfin, si cela avait toujours été comme ça. Son père avait toujours travaillé comme un malade dans l’entreprise familiale, mais il y avait sa mère. Elle était là, tous les jours pour ses enfants. Elle jouait le rôle d’une mère et d’un père. Elle avait même donné naissance à sept enfants. Elle rêvait d’une grande famille, des repas de famille… Elle ne rêvait peut-être pas de mourir aussi jeune en laissant ses enfants. Peu de temps après la naissance, de la benjamine de la famille, elle était tombée malade. Personne ne s’en souvint très bien, ils étaient trop jeune mais pas lui. Le jeune Maëlan du haut de ses dix ans, avait tout vu… Il était allé si souvent à l’hôpital pour rendre visite à sa mère… Il l’avait vu passer de la femme plein de vie, au légume qu’elle était avant de mourir. Son père ? Oui, il était là. S’il y avait bien quelque chose qu’il aimait, c’était sa femme. Pourtant, peu de temps après l’enterrement, il avait laissé sans aucun regret ses enfants à un gosse de dix ans.

Il retourna dans le salon. Aider sa fille dans son chagrin d’amour l’avait attendri mais penser à son père, au responsabilité qu’il avait eu si jeune, avait remonté beaucoup de colère en lui. Il se servit un verre de whisky et s’installa sur le canapé. Il regarda autour de lui. Il n’avait pas si mal réussi au final. Il avait éduqué ses frères et sœurs sans le moindre modèle parental et aujourd’hui, ils étaient des gens respectables, de qui il était vraiment fiers. Il avait eu une fille à qui il avait donnée tout l’amour dont il était possible. Enfin, l’amour, c’était un bien grand mot. Il ne savait même pas, s’il s’agissait vraiment d’amour ou si c’était ce qu’on ressentait face à son enfant. Pourtant, lorsqu’elle était rentrée en pleurant après que son petit ami lui ai brisé le cœur. Il avait su parfaitement ce qu’il avait à faire. L’écouter. Lui faire un câlin. Lui faire un chocolat chaud. Être là pour elle. Il devait le reconnaître, il était fière d’elle. Elle aussi avait vécu sans mère et pourtant, elle était une jeune fille de seize ans magnifique, intelligente et même capitaine des pompom-girls. En même temps, même  si elle n’avait pas eu de mère, même si elle avait un père qui ne savait pas vraiment comment aimer, elle avait eu la chance qu’il essaye pour elle, qui lui offre le meilleur, qu’il essaye de lui donner de l’amour.

Il but une gorgé et regarda vers la vitre. Il devait le reconnaître, il avait une magnifique vue sur Londres depuis son appartement. Pourtant, il se sentait toujours à l’étroit dans la ville de la démesure. Si, son père n’avait pas fait de lui, une machine sans cœur, sans sentiment, il serait peut-être quelque part en train de grimper l’une des nombreuses montagnes de cette planète… Mais, c’était en partie sa faute, si son rêve n’avait jamais vu le jour. Un seul soir… Une seule nuit d’amour… Une seule fois… Et sa fille était née. Il aurait pu forcer la mère à avorter. Il aurait pu s’enfuir. Pourtant, il n’avait rien fait. Il avait juste assumé. Il avait juste acquiescé quand son père l’avait forcé à se marier à l’âge de dix-sept ans pour l’image de l’entreprise. Il avait juste accepté quand son père l’avait mis à la tête de l’entreprise avant de s’envoler vers le soleil avec sa nouvelle femme. Au final, il s’était juste fermé à la vie… Il avait fermé son coeur… Il était devenu une machine… Sa femme ? Ils avaient un accord, ils étaient mariés mais juste sur le papier : chacun faisait sa vie. Elle n’avait jamais eu la fibre maternelle alors elle était juste partie. Sans doute, la meilleure chose qu’elle ait fait dans sa vie.

Il était resté un long moment à regarder par la fenêtre repensant à chaque moment de sa vie : ses frères, sa femme, sa fille, son père, son travail. Au final, il était plutôt bien. Son père lui avait toujours appris, les rare fois où il était là, qu’il était le bosse… Qu’il devait se servir sans jamais demander… Qu’une femme reste une femme, elle te prend tout et te laisse… Qu’elle nous prenne pour des objets et qu’il fallait qu’il fasse pareil… Soudain, il sentit quelqu’un venir se blottir dans ses bras. Il n’avait pas besoin de regarder, il connaissait ses bras. Il connaissait cette personne. Sans doute, la seule femme qui ne lui ferait jamais de mal, sans doute la seule femme qu’il aimerait. « Merci papa… Je sais que c’est pas facile pour toi… Que papi a gâché ta vie… Que j’ai gâché ta vie mais tu as toujours été là pour moi… Je t’aime... » Il laissa les mots en suspend pendant quelques secondes avant de répondre. « Moi aussi. » C’était toujours ce qu’il disait. Moi aussi. Peut-être qu’un jour, il arriverait à lui dire les trois mots. Peut-être qu’un jour, il pourrait lui donner encore plus. « Tu n’as rien gâché… Tu es la meilleure chose que j’ai fait… Tu es la seule part de lumière dans ma vie et dans mon cœur. » dit-il en la prenant dans ses bras… Car oui, il était peut-être incapable d’ouvrir son cœur, il était peut-être incapable de ressentir quelques choses… Pourtant, il savait que s’il y avait bien une personne, qui changeait ça, c’était elle.

Une heure plus tard, il la déposa dans son lit. Elle avait fini par s'endormir dans ses bras. Il la regarda dormir dans ses bras quelques minutes avant d'aller dans sa chambre. Il retira sa chemise et s'installa dans son lit. Cette soirée l'avait vidé. Le retour dans le passé, le sentiment d'être important pour sa fille. Sans vraiment trop réfléchir, il attrapa son téléphone. "Tu me manques... J'aimerais te dire de ne pas l'épouser, de t'enfuir avec moi... Mais, qu'est-ce que j'ai à t'offrir?" Bordel qu'est-ce qu'il lui prenait? Cette femme avait tout bousculé dans sa tête. Son sourire, sa peau, ses baisers... Tous lui manquaient. Elle était qu'une femme comme les autres et sur le point de se marier en prime. Pourtant, il n'arrivait pas à ce là sortir de la tête. Il éteignit la lumière et se coucha, l'imaginant à ses côtés. S'il savait qu'après leur nuit ensemble, elle tomberait enceinte. Qu'il aurait un accident juste pour la voir. Mais pour l'instant, il apprenait juste ce que c'était de tenir à quelqu'un.